John Cleese, comédien et scénariste anglais légendaire, fondateur de la troupe des Monthy Python, est un spécialiste de créativité. Vous ne le saviez peut-être pas, mais le comédien est un mordu de psychologie depuis plusieurs décennies, et saisit toutes les occasions médiatiques pour parler de créativité, souvent avec un franc-parler qui tranche avec les clichés habituels.
Dans un article et quelques vidéos récents parus dans le magazine Business Leader, il livre ses recettes de la créativité et d’innovation. En premier lieu desquelles : ne pas croire que la créativité est réservée aux artistes.
Secret #1 : la créativité ce n’est pas un don de certains
On pourrait imaginer qu’un esprit aussi brillant a été nourri dès l’école par des cours de théâtre ou d’écriture. Pourtant pour Cleese, la créativité n’a jamais été au programme. Avec un parcours scolaire axé sur les mathématiques, la physique et le droit à Cambridge, il a dû explorer seul ce qui fait la magie de l’imagination et de la capacité d’innovation qui réside en chacun d’entre nous.
Dans son livre, Creativity: A Short and Cheerful Guide paru en 2022, il explique comment chacun peut faire naître en soi cette étincelle créative sans perdre de temps et sans s’attarder sur des méthodes.
L’idée centrale de Cleese repose sur deux façons de penser, inspirées du concept de "Hare Brain, Tortoise Mind " de Guy Claxton : le cerveau de lièvre, rapide et logique, et l’esprit de tortue, lent, rêveur, et plus ludique (quelque chose qui rappelle étrangement le Thinking Fast and Slow de Daniel Kahneman dont, en tant que conférencier innovation, je parle régulièrement et au sujet duquel j’ai fait un article ici il y a quelques temps)
La créativité ne se limite pas à la musique, au cinéma et à la danse. Elle est tout aussi cruciale dans le monde des affaires, que ce soit pour élaborer des stratégies de tarification et de marketing. - John Cleese
La clé ? Cultiver cet état d’esprit de tortue, où l’on accepte de s’immerger dans la réflexion, d’explorer sans objectif immédiat, comme le font les enfants lorsqu’ils jouent.
« Ils se laissent complètement absorber par ce qu’ils font. Pas de règle, pas de peur de l’erreur, juste de l’exploration pure. » Pour Cleese, c’est dans ces moments que naissent les meilleures idées.
Secret #2 : ça prend du temps. Et ça nait dans le chaos.
Cleese met aussi l’accent sur l’importance du temps, mais surtout du timing. Pendant qu’un de ses camarades Monty Python acceptait la première solution venue pour finir tôt, Cleese, lui, préférait laisser mûrir ses idées, quitte à travailler plus longtemps.
Résultat ? Des scripts plus originaux et mémorables. Son expérience sur Fawlty Towers le prouve : il a pris six semaines pour écrire chaque épisode, se fixant un délai précis, mais en s’accordant le temps pour faire surgir la magie créative.
Et dans le monde des affaires, selon Cleese, c’est pareil. Que ce soit pour innover, trouver de nouvelles stratégies ou repenser un produit, il ne faut pas avoir peur de rester un moment dans l’incertitude.
Quand on cherche à être créatif, il y a un manque de clarté pendant la majeure partie du processus. On n'a besoin d'être clair qu'à la fin. - John Cleese
Ce n’est pas grave si la clarté n’est pas immédiate. En fait, c’est même un passage obligé. « La confusion, c’est le terreau de la créativité, » dit-il. Et après des heures de réflexion, la solution apparaît alors comme une évidence.
Pas facile à accepter dans une entreprise. Pendant une conférence innovation, c’est un point que je pointe régulièrement comme difficile pour les organisations qui fonctionnent par essence avec des plannings et des deadlines. Il faut pourtant essayer de ménager des moments sans agenda. Si on veut faire de la créativité et pousser son équipe vers plus d’innovation
Secret #3 : l’obstacle numéro 1 de la créativité, ce sont les interruptions
Cleese met en garde contre ces moments qui fragmentent notre pensée, surtout dans le monde ultra connecté des entreprises. Selon lui, chaque interruption impose un reset mental qui nous empêche de plonger dans la profondeur de nos idées.
Il recommande aux leaders de s’imposer des moments d’isolement, à l’abri des urgences. Cette discipline crée une culture d’entreprise où la réflexion a sa place, loin du contrôle oppressant. « Si le patron est un maniaque du contrôle, toute la boîte le deviendra. » Pour favoriser la créativité, il faut faire confiance aux équipes, leur laisser de l’air pour penser.
Secret #4 : accepter que parfois, ça foire.
Enfin, Cleese partage un conseil qui résonne bien au-delà créativité : « Vous ne pouvez pas avoir une nouvelle idée tant que vous ne vous êtes pas débarrassé de l’ancienne. »
Autrement dit, les périodes où l ’on se sent moins inspiré ou bien pendant lesquelles on traine une idée qui finalement ne vaut rien (une "heuristique de jugement" dirait Kahneman), ces périodes-ci ne sont pas des échecs mais des phases de transition vers des idées plus fraîches. Alors, plutôt que de paniquer ou de vouloir tout contrôler, Cleese nous encourage à accepter ces moments de latence.
Restez calme et laissez vous un peu de temps. Jouez.
Son livre est une petite bouffée d’air frais dans un monde où la créativité est souvent perçue comme un talent mystérieux réservé à une élite. Avec son humour et sa simplicité, Cleese nous rappelle que l’imagination est accessible à tous, même pour les entrepreneurs les plus pragmatiques.