Les pièges de la quête d'originalité
Quand j’interviens sur une conférence innovation ou une conférence créativité, c’est souvent parce que le client perçoit l'innovation comme une clé du succès, et qu’il ou elle souhaite partager cette vision avec son équipe.
Pourtant, l’innovation ne fait pas tout : des études récentes montrent qu’une recherche excessive de l'originalité peut parfois être contre-productive. Ainsi, un article paru récemment dans Forbes, et repris d’une communication du magazine canadien Rotman Management, met en lumière les défis de l'originalité en soulignant l'importance de l'équilibre entre la nouveauté et la pertinence.
L’article commence par citer l’exemple du restaurant étoilé Bros’, à Lecce en Italie, un restaurant noté au Michelin. Leur quête d'originalité dans la présentation des plats (sans parler du nombre de plats : jusqu’à 27 !) a parfois laissé les clients perplexes et insatisfaits. On ne peut pas plaire à tout le monde certes, mais les clients ne comprenait tout simplement pas l’effort d’innovation.
L’innovation à tout prix, peut parfois se payer cher…
L’effet « Originality Ostrich »
Ce phénomène a un nom : l’ Originality Ostrich effect (Ostrich= autruche) explique comment des créateurs et des entreprises peuvent perdre de vue l'équilibre entre l'originalité et la qualité. Ne se focalisant que sur la première.
Autre exemple cité dans l’article : dans une étude travaillant sur les statistiques de création de sandwichs, les participants encouragés à être créatifs ont produit des recettes … moins appétissantes que ceux se concentrant uniquement sur la valorisation du goût.
Il existe de nombreux exemples de ce type en gastronomie :par exemple, dans des contextes professionnels comme l'émission "Top Chef", les candidats qui misent trop sur l'originalité sont souvent éliminés plus rapidement. Ce sont les statistiques qui le disent.
Mais cela est valable dans d’autres domaines : une équipe de chercheurs, menée par Brian Uzzi de l'université Northwestern, a examiné dans quelle mesure les idées non conventionnelles ont un impact important dans le domaine scientifique. Dans leur analyse de près de 18 millions d'articles scientifiques, ils ont découvert que les travaux scientifiques qui ont le plus d'impact ne sont pas les plus novateurs.
Au contraire : les travaux les plus influents tendent à être des recherches qui sont largement conventionnelles, mais qui présentent une combinaison nouvelle et inhabituelle. Un peu comme une épice inattendue dans votre plat préféré.
« l’innovation consiste à transformer des idées en factures. » - Lewis Duncan
Le combat de l’innovation et de la valeur. Les 2 sont-ils irréconciliables ?On dirait bien que la formule gagnante soit une forme de « changement dans la continuité » … Au risque de casser le mythe de la créativité du génie enfermé dans son garage !
Et pour les entreprises ça veut dire quoi ?
La leçon est simple : l'innovation ne doit pas se faire au détriment de la valeur.
En intégrant des éléments novateurs de manière mesurée et en s'inspirant des succès passés, les entreprises peuvent générer des idées créatives qui résonnent véritablement auprès de leur audience.
En limitant le risque du rejet pour cause de trop d’innovation.
Voici quelques conseils pratico-pratiques pour éviter de tomber dans cet écueil :
- Analyse des réussites passées : étudiez les innovations antérieures dans votre secteur et identifiez les éléments qui ont contribué à leur succès. Intégrez ces éléments dans vos propres initiatives.
- Approche méthodique : adoptez une approche structurée pour la génération d'idées, en équilibrant nouveauté et pertinence. Utilisez des techniques de brainstorming guidé pour explorer des variations de concepts existants.
- Tests et feedbacks : mettez en place des phases de test pour vos nouvelles idées et recueillez des retours d'expérience de vos clients et partenaires. Cela vous permettra d'ajuster et d'améliorer vos innovations avant leur lancement définitif. En plus, c’est la meilleure chose à faire si vous avez des contraintes budgétaires fortes.
Le mot de la fin
Alors innovation forte et succès, frères ennemis, sauf à de rares exceptions près ? Pas facile de trancher nettement.
Ce qui est certain (d’un point de vue économique et business, pas d’un point de vue artistique bien sur), c’est que la créativité « efficace »réside dans la capacité à améliorer l'existant plutôt qu'à réinventer la roue.En adoptant une approche équilibrée, les entreprises peuvent minimiser les risques tout en maximisant l'impact de leurs innovations.
L’architecte et Designer anglais Lewis Duncan a l’habitude de dire la chose suivante : « l’innovation consiste à transformer des idées en factures. » Pas glamour, pas rêveur, mais tout est dit :l’innovation ne se résume pas à un exercice de créativité.
Une innovation doit avoir une fin économique contrairement à une « pure invention ».