Imaginez que vous êtes designer et qu’un grand centre d’art contemporain vous demande de créer – pour les besoins de ses salles d’exposition – des chaises inédites. C’est une commande importante pour vous, car c’est un lieu d’exception, internationalement connu. Il vous faut donc trouver quelque chose de « hors du commun », c’est-à-dire « hors des évidences » habituelles.
Maintenant posez-vous une question : qu’avez-vous visualisé mentalement au moment où vous avez lu ces lignes ? Vous avez peut-être vu une chaise. Mais comment était cette chaise : rouge, blanche, noire, comment était belle conçue ? Elle avait quatre pieds, n’est-ce pas ? Si c’est le cas, c’est parfaitement normal…car la plupart d’entre nous tombent dans le piège conceptuel « chaise = 4 pieds ». Ce piège conceptuel est ce qu’on peut appeler une évidence. Cette évidence, vient de nos habitudes, de nos routines. Pour innover, faire différent, il faut questionner ces évidences. Pour ensuite les contourner.
Ce piège conceptuel est ce qu’on peut appeler une évidence. Cette évidence, vient de nos habitudes, de nos routines. Pour innover, faire différent, il faut questionner ces évidences. Pour ensuite les contourner.
Voici une énigme amusante à laquelle – pour les besoins de la démonstration – il est très important que vous répondiez le plus vite possible : « imaginez que lorsque vous aviez 6 ans, votre sœur ait eu la moitié de votre âge. Aujourd’hui vous avez 60 ans, quel âge à votre sœur ? » Alors ? Réponse ? 57 ans bien sûr. Elle aura toujours 3 ans de moins que vous.
Cette énigme est amusante à poser à votre entourage, en leur demandant de répondre le plus vite possible. Vous verrez que beaucoup de gens répondent « elle a 30 ans ! », et réalisent peu de temps après qu’ils se sont trompés. Cette réponse spontanée, rapide, est une pensée « évidente », et pourtant totalement fausse. Elle est naturelle, car votre cerveau est programmé pour fournir des réponses évidentes, rapides. C’est un mécanisme hérité de la période où nous devions courir dans la savane pour échapper aux prédateurs, et réagir vite en cas de situation dangereuse, menaçant notre survie même. Mais cette capacité devient handicapante lorsqu’il s’agit de remettre en question les évidences. Car remettre en question nécessite une prise de recul sur sa propre façon de penser. C'est d'ailleurs l'une des qualités première d'un intrapreneur, qualité qu'on évoque dans toute bonne formation intrapreneuriat.
Une prénotion : un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent
- Emile Durkheim
Dans les Règles de la méthode sociologique, Emile Durkheim présente le concept de « prénotion ». Nos prénotions sont le fruit de notre expérience et de la normalisation qui éloignent de la singularité, de l’inhabituel. C’est « un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent ». Par « transparent », comprenez « évident ». Pour les remettre en question, rien de tel qu’un bon vieil esprit critique ! Le doute méthodique cartésien doit être votre arme d’auto-défense : « Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie [...] que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute » (Discours de la Méthode, « De la certitude »). Les évidences ne sont que des actes de paresses intellectuelles. Alors si vous voulez booster la créativité et innovation en entreprise, questionnez-les encore et encore. Elles sont faites pour être « craquées » : tout bon intrapreneur, tout créatif se doit d'être aussi un hacker !
Conseil :
Exercez-vous à questionner les évidences, autrement dit à questionner l’existant. Le pourquoi des choses, le pourquoi ces choses sont telles qu’elles sont. Questionnez ce qu’on vous dit et que l’on fait passer pour « normal », questionnez l’organisation de vos journées, questionnez la forme des objets. C’est une pure démarche de designer.