Ça choque toujours un peu quand en conférence innovation, invité en tant que speaker, j’affirme directement que toutes les idées qui nous viennent à tous (plus ou moins fréquemment selon chacun) sont des idées pourries. Que « toutes nos idées - spontanées en particulier- sont des idées qui n’ont que très peu devaleur ».
La réalité est en effet que ce n’est pas parce que nous avons des idées que nous pouvons nous vanter d’être des personnes « créatives ». Cela n’a même rien à voir : ce n’est pas parce que vous avez 15 idées à la seconde, que vous êtes plus créatif ou créative que celle ou celui qui n’en a qu'une seule tous les 6 mois mois … mais qui va aller au bout de son développement et de sa concrétisation matérielle.
Car c’est ça le vrai sujet de l’innovation : sa transformation en réalité. Réalité business, réalité artistique, réalité scientifique, peu importe, mais transformer cette idée en quelque chose de concret, c’est-à-dire la soumettre au jugement du monde réel. Tant qu’elle reste un rêve, une abstraction dans les nimbes de votre cortex, il est facile de l’idéaliser, de magnifier, de la flatter. Et généralement, la réalité se charge ensuite de vous rappeler combien cette dernière peut être dure pour vos rêves.
En vidéo ça donne ça :
Vos idées sont pourries (pour l’instant)
Dans un article très partagé sur les réseaux, l’auteur et conférencier Anadi Sahoo raconte l’anecdote suivante : en session de formation, l’intervenant pose une question aux participants : « Combien d’entre vous sont d’accord pour dire que posséder le savoir c’est posséder le pouvoir ? ». Evidemment, tout le monde semble d’accord. Réponse de l’intervenant : « faux. Le savoir n’est pas le pouvoir. Seul le savoir appliqué constitue le vrai pouvoir ». Conclusion de Sahoo : peu importe ce que nous apprenons, le savoir théorique est inutile lorsqu’il n’est pas validé (ou invalidé) par la confrontation avec le terrain. C’est tout le sens de l’expérience.
En matière de créativité et d’innovation, il en va exactement de la même façon : une idée, aussi bonne soit-elle, ne vaut rien a priori. En tout cas pas avant d’avoir quitté votre cerveau pour se frotter au terrain. C’est également le sens du « ideas are shit, execution is the game » [les idées ne valent rien. Seul compte le passage à l’action] énoncé par le très médiatique (outre-atlantique) serial entrepreneur et gourou de la Silicon Valley Gary V (alias Gary Vaynerchuk).
Il arrive pourtant encore que le pouvoir d’attraction d’une idée soit tel qu’on en oublie parfois la réalité. L’histoire des flops industriels est remplie d’exemples de ce type (Google Glass, parfums Bic, etc.) où le consommateur final est totalement absent des réflexions, les « idéateurs » étant aveuglés par la lumière de leur idée comme des papillons sur une lanterne. Même chose dans le monde des media – secteur sur lequel j’interviens beaucoup en tant que conférencier innovation - où la réflexion sur les intérêts du lecteur et l’évolution des usages a longtemps été absente des réunions de rédaction, au profit de la valorisation des sujets pour les annonceurs. Mais avec le retour en force du modèle de l’abonnement face au siphonage des recettes pubs par les réseaux sociaux, un changement a été amorcé : maintenant c’est lecteur first (= la réalité). Le New-York Times l’a compris depuis 2017 déjà.
L’expérience du terrain, un bien sous valorisé en matièred’innovation ? Dans ses travaux, le psychologue du développement Mathieu Cassotti, avec lequel j’ai eu le plaisir d’intervenir lors d’une conférence innovation, ne montre rien de moins. En s’intéressant aux solutions « innovantes » proposées face à un problème, son équipe de recherches s’est aperçu que les enfants n’étaient pas meilleurs innovateurs que des ingénieurs « seniors », au contraire. Un résultat qui casse une idée reçue pourtant séduisante selon laquelle les outsiders, à la pensée neuve et fraiche (=les enfants), seraient de meilleurs fournisseurs d’idées brillantes. Selon Cassotti, c’est certes le cas en termes de pensée « out of the box », c’est-à-dire de variété de solutions proposées, mais malheureusement ces idées neuves sont souvent inopérantes… contrairement à celles des ingénieurs qui ont le mérite – sinon d’être très « novatrices » – de fonctionner !
L’étape d’après ? Le partage. Ce savoir renforcé parl’expérience n’est toujours pas grand-chose s’il n’est pas partagé. Qui partage, reçoit, et donc peut améliorer son expérience encore davantage grâce à celle des autres, grâce aux feedbacks des autres, et surtout le faire beaucoup plus vite qu’en expérimentant par soi-même. Pour Sahoo, c’est là le vrai pouvoir : celui de l’éducation et de la transmission du savoir.
Alexis Botaya, conférencier créativité et innovation
- Mon podcast créativité sur Majelan
- Mon Challenge Create to Innovate sur WelcomeOriginals